DECISION N116
DECISION N°116/12/ARMP/CRD DU 03 OCTOBRE 2012 DU COMITE DE REGLEMENT DES DIFFERENDS STATUANT EN COMMISSION LITIGES SUR LE RECOURS DE TRIPLE A CONCERNANT LE DOSSIER D’APPEL D’OFFRES N° S08/2012 DU CENTRE DES ŒUVRES UNIVERSITAIRES DE DAKAR (COUD) AYANT POUR OBJET LA GESTION ET L’EXPLOITATION DES RESTAURANTS UNIVERSITAIRES
LE COMITE DE REGLEMENT DES DIFFERENDS STATUANT EN COMMISSION LITIGES,
Vu le Code des Obligations de l’Administration modifié par la loi n° 2006-16 du 30 juin 2006;
Vu le décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des Marchés publics;
Vu le décret n° 2007-546 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l'Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP) notamment en ses articles 20 et 21;
Vu la décision n° 0005/ARMP/CRMP portant règlement intérieur du Conseil de Régulation des Marchés publics ;
Vu le recours de TRIPLE A en date du 14 septembre 2012 enregistré le 17 septembre au secrétariat du Comité de Règlement des Différends (CRD) et le lendemain au bureau du courrier sous les numéros 816 et 328;
Monsieur René Pascal DIOUF entendu en son rapport ;
En présence de Monsieur Abdoulaye SYLLA, Président, de MM Abd’El Kader N’DIAYE, Ndiacé DIOP et Mamadou DEME, membres du Comité de Règlement des Différends (CRD);
De M. Saër NIANG, Directeur Général de l’ARMP, secrétaire rapporteur du CRD, Mme Takia Nafissatou FALL CARVALHO, Conseillère chargée de la Coordination et du Suivi, MM. René Pascal DIOUF, Coordonateur de la Cellule d’enquête sur les procédures de passation et d’exécution des marchés publics et délégations de service public, Ely Manel FALL, Chef de la Division de la Règlementation, observateurs;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Adopte la présente délibération;
Par lettre en date du 14 septembre 2012, TRIPLE A a saisi le CRD en contestation de la clause 5.2 (f) des instructions aux soumissionnaires du dossier d’appel d’offres du COUD ayant pour objet la gestion et l’exploitation des restaurants universitaires.
LES FAITS
Dans le journal « Le Soleil » du 29 août 2012, le COUD a fait publier un avis d’appel d’offres ayant pour objet l’exploitation des restaurants universitaires répartis en sept (07) lots.
Après acquisition du DAO, le 31 août 2012, TRIPLE A a adressé un recours gracieux reçu le 05 septembre 2012 par le COUD pour obtenir l’annulation de la disposition 5.2 f des instructions aux candidats qui exige de la part des soumissionnaires « la production des bilans certifiés des trois dernières années ».
Après le rejet implicite de son recours, TRIPLE A a saisi d’un recours contentieux le CRD qui, par décision n° 110/12/ARMP/CRD du 20 septembre a ordonné la suspension de la procédure.
LES MOYENS DEVELOPPES A L’APPUI DU RECOURS
Au soutien de son recours, TRIPLE A excipe du caractère discriminatoire de la clause 5.2 (f) des Instructions aux candidats qui, de façon inédite, a été « non modifiée », après avoir été, au préalable, reformulée dans les Données Particulières de l’Appel d’Offres (DPAO) ainsi qu’il suit : « présenter au moins un bilan financier certifié durant les trois dernières années avec des justifications validées par un cabinet d’expert comptable reconnu par l’Etat du Sénégal ».
Pour obtenir l’annulation de la disposition incriminée ou sa non application aux entreprises nouvellement créées, TRIPLE A expose les moyens suivants :
- Ladite disposition, jamais requise depuis la privatisation des restaurants universitaires en 1996, vise à exclure, de facto, toutes les entreprises de moins de deux ans comme elle, et viole, par conséquent, l’article 27 du COA qui prescrit le respect des principes de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats;
- Les décisions n° 130/10 et 150/11 du CRD rappellent la nécessité d’encourager le libre accès à la commande publique et de garantir un traitement équitable entre « nouvelles » et « anciennes » entreprises ;
- L’exigence de production d’états financiers certifiés datant d’au moins de deux ans n’est pas une condition consubstantielle à l’exécution de la mission d’exploitation de restaurant universitaire ; en effet, parmi les éléments d’appréciation de la capacité financière des entreprises en compétition, des critères explicites tels que la disponibilité de lignes de crédit, l’existence de caution bancaire, s’avèrent non seulement suffisants mais bien plus pertinents, et moins discriminatoires que la production des états financiers certifiés des deux dernières années ;
- Enfin, la disposition contestée, sans apporter aucune valeur ajoutée au DAO, limite l’accès aux marchés publics des nouvelles entreprises, même lorsque celles-ci sont plus compétentes que les anciennes pour apporter une solution durable au problème lancinant et persistant de la restauration universitaire.
SUR LES MOTIFS DONNES PAR L’AUTORITE CONTRACTANTE
En réponse aux griefs ci-dessus, le COUD a précisé que les instructions aux candidats qui exigeaient « les états financiers audités des trois dernières années » ont été allégées par les DPAO qui demandent que le candidat fournisse au moins un état financier certifié d’un des trois derniers exercices.
SUR L’OBJET DU LITIGE
Il résulte de ce qui précède que le litige porte sur le caractère discriminatoire de l’exigence faite aux candidats de produire au moins un état financier certifié d’un des trois derniers exercices, notamment à l’égard des entreprises nouvellement créées.
L’EXAMEN DU LITIGE
Considérant que l’article 27 du COA dispose que dans le respect des principes de libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats, les acheteurs publics peuvent requérir des candidats aux marchés toutes justifications concernant notamment :
- Les moyens matériels, humains et financiers dont ils disposent ;
- L’expérience acquise dans la réalisation d’activités analogues à celles faisant l’objet du marché ;
Considérant que dans le même ordre d’idées, l’article 44 du CMP prévoit que sous réserve du respect de ses droits en matière de protection de la propriété intellectuelle ou industrielle et de la confidentialité des informations concernant ses activités, tout candidat à un marché public doit justifier qu’il dispose des capacités juridiques, techniques et financières requises pour exécuter le marché en
présentant tous documents et attestations appropriés énumérés dans le dossier d’appel à la concurrence ;
Considérant que, pour application de ces textes, l’article 59.2 prévoit que la vérification de l’aptitude du soumissionnaire est effectuée par l’autorité contractante conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 43 et 44 du Code des marchés publics ;
que l’objet de ces articles est de déterminer quelles sont les références probantes ou moyens de preuve pouvant être fournis pour justifier la capacité financière, économique et technique des soumissionnaires ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que s'il est loisible à une autorité contractante d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, il doit néanmoins, lorsque cette exigence peut avoir pour effet de restreindre l'accès au marché à des entreprises de création récente, permettre aux candidats qui sont dans l'impossibilité objective de produire les documents et renseignements exigés par le dossier d’appel d’offres, de justifier de leurs capacités financières par tout autre moyen ;
Considérant qu’il y a lieu, à cet égard, de faire remarquer au COUD que la production des états financiers certifiés n’est pas la seule forme sacramentelle pour s’assurer de la solidité financière d’un candidat ;
Considérant, en effet, que dans un souci d’efficacité économique et dans le but de faciliter l’accès des Petites et Moyennes Entreprises aux marchés comme prévu par la loi d’orientation n° 2007-49 relative à la promotion et au développement des PME, et par conséquent de favoriser l’emploi et la création de nouvelles entreprises qui peuvent être porteuses de savoir-faire, d’ingéniosité et de nouvelles technologies, les autorités contractantes doivent pouvoir autoriser les entreprise de création récente à prouver leurs capacités financières par des documents qu’ils
jugent équivalents à ceux contenus dans l’article 44 du Code des marchés publics ;
Que, dans le souci de faciliter l’accès de ces entreprises aux marchés, l’autorité contractante peut, sur le fondement de l’article 44 du CMP précité, autoriser les entreprises candidates, qui ne sont pas en mesure de produire les pièces comptables demandées, à justifier leurs capacités financières par d’autres moyens ;
Que du reste, ce cas de figure est prévu par l’article 44 nouveau du CMP qui prévoit la production par le candidat « de tout autre document permettant de juger de sa capacité financière ;
Qu’en exigeant la production d’au moins un bilan financier durant les trois dernières années à tous les candidats sans prendre en compte les candidats de création récente, le COUD a limité la possibilité pour les candidats de faire la preuve de leur capacité financière et a ainsi porté atteinte aux principes de libre accès à la commande publique et d’égalité des candidats ;
Qu’il y a lieu d’ordonner la correction du DAO sur ce point et de proroger le délai de dépôt des offres ;
PAR CES MOTIFS
1- Dit qu’en vertu de l’article 27 du COA et de l’article 45 du CMP, il appartient à l’autorité contractante de fixer les critères de qualification exigés pour prendre part à un marché public ;
2- Dit, toutefois, que lesdits critères ne doivent pas constituer une entrave au libre accès à la commande publique, notamment pour les entreprises nouvellement créées et violer le principe d’égalité des candidats ;
3- Dit que le critère imposé à tous les candidats relatif à la production d’au moins un bilan financier certifié viole les principes de libre accès à la
commande publique et d’égalité des candidats ;
4- Dit que le COUD doit permettre aux entreprises nouvellement créées de faire la preuve de leur capacité financière par d’autres moyens, en application de l’article 44,i) du Code des marchés publics ;
5- Ordonne la correction du DAO sur ce point et la prorogation du délai de dépôt des offres au prororata de la durée de la suspension de la procédure;
6- Dit que les candidats doivent être informés de la correction du DAO et de la prorogation du délai de dépôt des offres ;
7- Dit que le Directeur général de l’ARMP est chargé de notifier à TRIPLE A, au COUD, ainsi qu’à la DCMP, la présente décision qui sera publiée.
Le Président
Abdoulaye Sylla
Les membres du CRD
Mamadou DEME Abd’El Kader NDIAYE Ndiacé DIOP
Le Directeur Général
Rapporteur
Saër NIANG
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